• Certaines personnes disent se suffire de la référence au Coran et que la référence aux Hadîths n'est non seulement pas nécessaire, mais est même nocive dans la mesure où on donne au Prophète la même place qu'à Dieu en terme de source de législation suprême.

    Que penser de ces affirmations, nous allons le voir ci-après.

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    1) Ce que le Coran lui-même dit :

    Le Coran parle du Prophète Muhammad (sur lui la paix) comme étant un messager qui "enseigne (aux hommes) le Livre et la Sagesse" (Coran 2/129, 3/164, 62/2). Le "Livre" est bien sûr le Coran, que le Prophète a retransmis aux hommes ; quant au terme "Sagesse" ici employé, il désigne la Sunna, comme en témoigne cet autre verset, dans lequel Dieu dit aux épouses du Prophète : "Et souvenez-vous de ce qui est récité dans vos maisons, de Versets de Dieu et de la Sagesse" (Coran 33/34) : quoi donc les épouses du Prophète entendaient-elles dans leur maison, en sus des versets coraniques, si ce ne sont les propos du Prophète ?

    "Et ce que le Messager vous apporte, prenez-le, et ce que qu'il vous interdit, abstenez-vous en" (Coran 59/7). "Conformez-vous à (ce que dit) Dieu et conformez-vous à (ce que dit) Son Messager" (Coran 5/92). "Conformez-vous à ce (que dit) Dieu et conformez-vous à (ce que dit) Son Messager et à (ce que disent) les détenteurs de l'autorité parmi vous ; si vous divergez alors au sujet de quelque chose, faites référence de cette chose auprès de Dieu et de Son Messager si vous croyez en Dieu et au jour dernier" (Coran 4/59) : il s'agit bien de deux sources : les paroles de Dieu et celles du Prophète : si les règles contenues dans les paroles du Prophète n'étaient pas à suivre même sans qu'on connaisse la façon par laquelle le Prophète les a extraites du Coran (nous allons le voir plus bas), le verbe "conformez-vous à" n'aurait pas été répété, exactement comme il n'a pas été répété avant "les détenteurs de l'autorité".

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    2) Pourquoi le besoin des enseignements de la Sunna en plus de ceux du Coran ?

    La Sunna montre la façon concrète de vivre les enseignements coraniques :
    2.a) la Sunna détaille les enseignements du Coran, qui demeurent, eux, souvent d'ordre général ; le Coran dit simplement : "Accomplissez parfaitement la prière" (73/20 etc.) ; mais c'est le Prophète qui a détaillé quelles sont les invocations, les postures et la concentration qui composent la prière ; il en est de même concernant la zakât, le jeûne, le pèlerinage, les invocations, etc. : le Coran se contente de mentionner sommairement ces actions, tandis que c'est le Prophète qui les a détaillées ;
    2.b) la Sunna définit le champ d'application des lois coraniques, en déterminant les conditions pour leur applicabilité et les exceptions dans leur application : ainsi en est-il des conditions d'applicabilité de certaines peines mentionnées telles quelles dans le Coran ;
    2.c) la Sunna offre les repères humains pour la mise en pratique d'enseignements qui, sinon, demeureraient fort théoriques car n'existant que sous formes de phrases dans un Livre ; ainsi, le Coran dit : "Accomplissez parfaitement la prière" (73/20 etc.) et fait les éloges de "ceux qui, dans leur prière, sont dévoués" (23/2) ; mais voilà des paroles qui resteraient très théoriques pour nous si nous n'avions pas de repères humains quant à la façon de les vivre ; et ces repères, nous les avons eus par le biais du Prophète, qui priait la nuit au point qu'on lui demanda pourquoi il se donnait autant de peine (al-Bukhârî 6106 Muslim 2819) ; dont on entendait, lorsqu'il priait, montant de sa poitrine, le son de ses pleurs (Abû Dâoûd 904, an-Nassâ'ï 1214) ; qui a dit : "La fraîcheur de mes yeux a été placée dans la prière" (an-Nassâ'ï 3940) et : "Bilâl, donne le second appel vers la prière et procure-nous le repos par celle-ci" (Abû Dâoûd 4985) ; voilà les repères humains montrant comment il s'agit de mettre en pratique cette "dévotion dans la prière" dont parle le Coran ; on pourrait passer en revue d'autres aspects de sa vie ;
    2.d) la Sunna offre aussi le modèle humain pour la mise en pratique de l'ensemble des règles qu'offre le Coran : elle induit un équilibre en plaçant chaque enseignement à sa place et en prévenant les risques d'excès : c'est bien le Prophète qui a enseigné comment à la fois être dévoué à Dieu, s'engager pour Sa cause, et avoir une vie humaine normale ; sans ce modèle, les musulmans se consacreraient à un enseignement coranique au détriment de tous les autres.
    2.e) la Sunna offre une dynamique dans la mise en œuvre des enseignements coraniques : certains enseignements du Coran ne sont applicables que lorsque certains points ont pu être réalisés ; c'est la référence à la Sunna qui permet de le comprendre.

    Tout ceci fait que le rapport entre les éléments communiqués par la Sunna et les éléments du Coran est comparable, toutes proportions gardées, au rapport existant entre la loi, décidée par l'autorité législative du pays, et le décret d'application de cette loi, décidé par l'autorité exécutive du même pays.

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    3) Les données de la Sunna par rapport à celles du Coran :

    Par rapport aux données du Coran, celles de la Sunna :
    3.a) soit disent exactement la même chose ;
    3.b) soit détaillent ce que le Coran a évoqué de façon sommaire ;
    3.c) soit apportent une règle que le Coran n'a pas du tout évoquée.

    Exemple du premier cas (3.a) : tous les Hadîths où le Prophète dit que l'accomplissement de la prière est nécessaire, ainsi que tous ceux où il dit que donner l'aumône est nécessaire : ceci rejoint les versets coraniques où Dieu ordonne d'accomplir la prière et donner l'aumône (Coran 2/83, 73/20 etc.). Ce cas de figure rejoint le point 2.c évoqué plus haut.

    Exemple du second cas de figure (3.b) : le Coran ordonne d'accomplir la prière et de donner la zakâte, mais ne détaille pas la façon d'accomplir la prière ni les règles relatives à cette zakâte ; c'est vers les paroles et les actes du Prophète qu'il faut se tourner pour cela.

    Exemple du troisième cas de figure (3.c) : le Coran a autorisé en soi la polygynie sous condition (voir Coran 4/3) ; cependant il a formulé l'interdiction qu'un homme soit marié simultanément à deux sœurs (Coran 4/23) ; le Prophète a rajouté à cela l'interdiction qu'un homme soit marié simultanément avec une femme et sa tante maternelle (al-Bukhârî 4819).

    Ces deux cas de figure b et c relèvent des points 2.a et 2.b cités plus haut.

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    4) Les éléments de la Sunna ont-ils pour source la révélation divine ou bien sont-ils le fruit d'un raisonnement du Prophète ?

    Ce que le Prophète a transmis aux hommes de texte coranique a pour source la révélation divine : le contenu – le message – et le contenant – les termes – du texte coranique lui ont été communiqués par Dieu.

    Mais qu'en est-il des paroles personnelles qu'il a laissées aux hommes – autrement dit de la Sunna – : le contenant est sien, mais qu'en est-il du contenu : est-ce le fruit de sa réflexion personnelle ou bien est-ce quelque chose que Dieu lui a communiqué ?

    Différentes catégories doivent être distinguées

    - 4.a) Ce que le Prophète a enseigné qui se rapporte aux choses purement 'âdî ne relève à l'unanimité pas d'une révélation mais de son savoir humain : ce qu'il a dit de cette catégorie relève de ses connaissances personnelles et Dieu n'intervient pas en cas d'erreur de sa part à ce sujet : le récit de sa remarque à propos de la fécondation des dattiers est bien connu (cf. Hujjat ullâh il-bâligha 1/372-373).

    - 4.b) Par contre, la question reste posée pour tout ce qui constitue des éléments ta'abbudî dans les paroles, actes et approbations du Prophète. Et en fait différents cas sont à distinguer…

    -- 4.b.a) Les paroles du Prophète relatant des paroles de Dieu ne figurant pas dans le Coran (hadîth qudsî), ou décrivant des scènes de la dimension invisible ou prédisant des événements futurs sont toutes le fruit d'une révélation divine reçue par le Prophète, mais sans qu'il s'agisse de texte coranique (cf. Hujjat ullâh il-bâligha, 1/372). Cependant, si le sens en est bien d'origine divine, les mots exprimant ce sens sont ceux du Prophète (différemment du Coran, dont les mots mêmes sont ceux de Dieu, le Prophète ne faisant que retransmettre les mots mêmes aux hommes) (c'est l'avis pertinent au sujet des hadîths qudsî : cf. Al-Qawl ul-mufîd 'alâ kitâb it-tawhîd, Ibn ul-'Uthaymîn, pp. 69-72). Il se peut ensuite que Dieu ait révélé le sens et les mots des hadîths qudsî au Prophète, mais que celui-ci avait l'autorisation de retransmettre ce sens avec des mots différents ; comme il se peut que Dieu ait révélé seulement le sens de ces hadîths qudsî.

    -- 4.b.b) Les propos du Prophète offrant des règles juridiques (ahkâm) sont quant à eux de deux types…

    --- 4.b.b.a) Certains de ces propos sont le résultat d'une révélation divine reçue par le Prophète. De nouveau, cela relève de ce que nous avons décrit en 4.b.a : le sens est d'origine divine, les mots sont ceux du Prophète (voir le propos de az-Zurqânî relaté in 'Ulûm ul-qur'ân, Muftî Taqî, p. 50).
    Ainsi, à propos de la question de savoir si les épouses du Prophète pouvaient ou non sortir, Omar souhaitait que non ; il interpella Sawda à ce sujet : "Sawda, par Dieu, on peut te reconnaître ! Vois toi-même comment tu sors (si tu dois sortir) !" Sawda revint alors sur ses pas. Aïcha raconte : "Le Prophète était chez moi, et il était en train de prendre son repas ; dans sa main il y avait un morceau de viande enrobant un os. Sawda entra et dit : "Messager de Dieu, j'étais sortie pour quelque chose, et Omar m'a dit telle chose". Le Prophète reçut alors la révélation ; celle-ci se fit puis cessa tandis que le morceau de viande était toujours dans la main du Prophète ; il dit alors : "Il vous a été permis de sortir pour faire ce que vous avez besoin de faire"" (al-Bukhârî 4517). Un homme vint questionner le Prophète au sujet de savoir s'il pouvait demeurer en état de sacralisation avec un manteau et alors qu'il s'était enduit le corps d'un parfum colorant. Le Prophète demeura silencieux, puis une révélation se fit à lui ; ensuite il donna la réponse à l'homme (al-Bukhârî 4074 etc., Muslim 1180). Voyez : dans ces deux récits on voit des paroles du Prophète – donc des Hadîths – et non des versets coraniques être le résultat d'une révélation divine. D'autres exemples existent encore. C'est à ce sujet que al-Hassân ibn 'Atiyya disait : "L'ange Gabriel venait apporter de la Sunna au Prophète, comme il venait lui apporter le Coran" (rapporté par ad-Dârimî, n° 587).

    --- 4.b.b.b) Par contre, d'autres propos du Prophète sont, eux, le résultat de ce qu'il a déduit des principes généraux de la législation islamique qui lui ont été enseignés par Dieu.
    Ainsi, le Prophète pensa pendant un temps dire aux femmes musulmanes de ne pas allaiter un nourrisson pendant une grossesse, car il pensait que pareil allaitement risquait d'affaiblir les nourrissons ; mais ensuite, relate-t-il lui-même, il remarqua que d'autres peuples le faisaient (les Byzantins et les Perses) sans que leurs nourrissons en soient affectés, et il ne formula pas l'interdiction (rapporté par Muslim, n° 1442). Il s'agit bien d'une réflexion, d'un ijtihad : le principe général extrait du Coran est clair : il est interdit de faire ce dont on sait que cela causera du tort à la santé ; l'application de ce principe à des cas concrets dépend pour partie de la connaissance de ce qui se passe lors de ces cas concrets : le Prophète avait pensé interdire tel cas mais ensuite modifia son raisonnement. Il s'agit bien, souligne an-Nawawî, d'une réflexion sur la base d'un principe (ijtihâd) (Shar'h Muslim sur ce Hadîth). C'est à ce sujet que ash-Shâfi'î disait : "Ce que le Prophète a dit est chose qu'il a comprise du Coran" (Tafsîr Ibn Kathîr, tome 1 p. 6, Al-Itqân, p. 1025).
    (Attention : nous parlons ici des ijtihads du Prophète qui ont valeur de réglementation, et non de ceux de ses ijtihads qui consistaient en sa compréhension du meilleur cas pouvant concrétiser l'application d'un principe établi.)

    Il est à noter qu'il y a deux différences entre les ijtihads du Prophète menés sur la base des principes coraniques et ceux des ulémas menés sur la base des textes du Coran et de la Sunna...
    La première différence est que les ijtihads du Prophète ont valeur formelle (qat'î), alors que ceux des ulémas (hors cas de consensus) n'ont pas la même valeur : le fait est que Dieu indique, par révélation, au Prophète les cas où il a fait une erreur dans son ijtihad. Shâh Waliyyullâh écrit donc : "Son ijtihad a le statut de la révélation, car Dieu l'a protégé contre le fait qu'il soit maintenu sur l'erreur" (Hujjat ullâh il-bâligha, 1/371). Or Dieu n'intervient bien évidemment pas à propos des ijtihads des ulémas : il est nécessaire de se référer aux ijtihads de ces derniers, mais tout en gardant à l'esprit que chaque savant autre que le Prophète est tel que certains de ses avis sont erronés (ce qui lui vaut une récompense, contre deux si son avis est correct) ; par contre, les ijtihads du Prophète à propos desquels Dieu n'a rien dit relèvent de Son approbation (iqrâr), donc d'une forme de révélation aussi ("wah'y ghayr matlû").
    La seconde différence est que les ulémas doivent fonder leur ijtihad sur une règle extraite des textes du Coran et de la Sunna, sur la base d'un principe ('illa) présent dans le cas stipulé dans un texte particulier, ou d'un principe général (maslaha mursala) ; ils ont eux-mêmes demandé à leurs élèves de vérifier leurs arguments avant de répéter leurs avis ; alors que le Prophète, lui, menait ses ijtihads à partir des principes généraux qui président à l'ensemble de la législation islamique – principes que Dieu lui avait enseignés directement –, et non pas forcément à partir d'un principe extrait d'une règle détaillée figurant dans un verset (Hujjat ullâh il-bâligha, 1/371-372).

    -
    5) Est-ce Dieu ou bien le Prophète qui légifère ?

    L'islam enseigne que le droit de légiférer (de rendre permis, obligatoire et interdit) de façon absolue revient à Dieu. Dieu, dans le Coran, affirme que certains non musulmans ont pris "leurs savants, leurs moines et le Messie fils de Marie comme des divinités (rabb) en dehors de Dieu" (Coran 9/31). 'Adî ibn Hâtim, intrigué par le contenu de ce verset, questionna le Prophète Muhammad (sur lui la paix) au sujet de ce que pouvait signifier "avoir pris des moines comme divinités". Le Prophète lui fit la réponse suivante : "Ils ne rendaient sans doute pas un culte [sous forme de prosternation etc.] à ces moines, mais lorsque ces derniers leur déclaraient quelque chose permis, ils le considéraient permis. Et lorsqu'ils leur disaient que quelque chose est interdit, ils le considéraient interdit" (rapporté par at-Tirmidhî, n° 3095).
    Après avoir rappelé cette croyance islamique enseignant que c'est Dieu qui, de façon absolue, rend permis et interdit, Shâh Waliyyullâh écrit : "Quand on dit que le Prophète a permis ou interdit tel acte, c'est dans le sens où le propos du Prophète est l'indice certain que Dieu a permis ou interdit cet acte" (Hujjat ullâh il-bâligha 1/186) ; cela dans la mesure où :
    – premièrement :
    si cette explicitation par le Messager se faisait tantôt suivant un ijtihad à partir des principes supérieurs de la législation musulmane, tantôt ce fut suivant une révélation certes non coranique mais quand même divine qu'il reçut (nous en avons dit un mot plus haut) ;

    – deuxièmement : celui qui obéit à l'envoyé dans ce que celui-ci lui ordonne, parce qu'il le considère comme chargé de délivrer un message, celui là obéit en réalité à celui qui l'a envoyé Dieu : or Dieu a désigné Muhammad comme Son Messager auprès des hommes, avec pour mission de leur expliciter, par sa Sunna, les principes du Coran (nous avons, en 1 et en 2, déjà vu ce point) ; dès lors : "Celui qui se conforme à (ce que dit le) Messager se conforme à (ce que veut) Dieu" (Coran 4/80) ;
    – troisièmement : Dieu intervenait pour rectifier les erreurs d'ijtihads faits par le Prophète (Hujjat ullâh il-bâligha, 1/371) : Il l'a fait en Coran 80/1-11 (à propos de l'aveugle duquel il s'était détourné pour se consacrer à la prédication de notables), en 9/84 (après que le Prophète eût accompli la prière funéraire sur le chef des Hypocrites), en 9/43 (à propos d'une permission que le Prophète avait donnée à des gens), en 4/105-113 (à propos du fait qu'ayant entendu un témoignage et ne sachant pas qu'il était faux, le Prophète y avait cru), en 8/67-69 (à propos de prisonniers), en 9/107-108 (ici le Prophète avait juste eu l'intention de faire quelque chose et l'avait dit).

    Le Prophète a rappelé cette différence de statut entre Dieu et lui dans les normes qu'il a communiquées : un jour, un orateur commença son discours par ces mots : "Celui qui suit (ce que disent) Dieu et Son Messager, celui-là est bien guidé ; et celui qui leur désobéit, celui-là s'est fourvoyé". Le Prophète dit alors : "Tu n'es pas un bon orateur ! Dis (plutôt) : "et celui qui désobéit à Dieu et à Son Messager"" (rapporté par Muslim n° 870, Abû Dâoûd n° 1099, an-Nassâ'ï n° 3279). Voyez : le Prophète a préféré que cet orateur dise : "Et celui qui désobéit à Dieu et à Son Messager, celui-là s'est fourvoyé" plutôt que "Et celui qui leur désobéit, celui-là s'est fourvoyé". Le Prophète a voulu lui rappeler qu'un esprit non averti peut croire que l'emploi de ce pronom duel signifie qu'il s'agit d'obéir à deux êtres qui sont du même niveau ("at-tashrîk fi-dh-dhamîr" "yûhimu-t-taswiyata bi-n-nazari ilâ adh'hâni ba'dhi-s-sâmi'în al-qâssirîn" : as-Sindî), et il a donc voulu que devant certains de ces esprits non avertis (peut-être y en avait-il dans cette assemblée) on emploie les deux noms séparément : alors le nom "Messager" rappelle que si on suit aussi, en plus des paroles de Dieu, les paroles de Son Messager, c'est seulement parce que celui-ci est, comme le nom prononcé l'indique, le "Messager" de Dieu, autrement dit celui qui a été chargé par Dieu de détailler Ses paroles.

    Se référer aux Hadîths du Prophète ne contredit donc absolument pas le fait que ce soit bien Dieu qui légifère dans l'absolu. Et quand Dieu dit : "Conformez-vous à ce (que dit) Dieu et Conformez-vous à ce (que dit) Son Messager" (Coran 5/92), avec la répétition du verbe "conformez-vous" dont nous avons déjà parlé en 1, Il ne veut pas dire qu'il s'agit d'obéir à Muhammad en tant que tel et pour lui-même. Il veut dire qu'il faut se référer à deux sources, l'une étant constituée de Ses Paroles à Lui, Dieu, et l'autre des paroles de Muhammad qui est Son Messager : même si la Sunna n'est que le développement du Coran, elle constitue une source à part entière, et ce à deux égards :
    le premier (qui découle de la seconde différence évoquée supra) est que même si le Prophète ne cite pas explicitement sur quel verset du Coran il s'est appuyé pour dire tel de ses propos, et même si on n'arrive pas à deviner quel est ce verset, le Hadîth constitue quand même une source de loi ;
    le second (qui est la conséquence de la première différence mentionnée supra) est qu'on ne peut se fonder sur un verset pour dire : "Ce verset montre que le Prophète a fait une erreur d'interprétation quand il dit telle chose" (il est vrai par contre que des ulémas se sont fondés sur un verset pour montrer que telle parole attribuée au Prophète n'a pas pour source réelle le Prophète : ainsi l'ont fait des ulémas à propos de la parole parlant des jours de la création et dont le total aboutit à 7).

    Les dires des ulémas, on s'y réfère aussi, mais ils différent par rapport à ces points :
    – Si on n'arrive pas à retrouver sur quel verset ou quel hadîth l'avis d'un mujtahid se fonde, cet avis n'a pas "force de loi pour tout musulman"  ; c'est ce que Abû Hanîfa exprimait ainsi : "Il est interdit (harâm) à celui qui ne connaît pas l'argument (sur lequel) je (me suis fondé) de donner fatwa selon mon propos" ;
    – Il est attendu que d'autres ulémas citent un Hadîth et disent ensuite : "Ce Hadîth montre que tel mujtahid a fait une erreur d'interprétation quand il a dit telle chose ; il aura inshâ Allâh une récompense pour son effort d'interprétation, mais on ne peut pas suivre son avis ici".

    (Shâh Waliyyullâh a aussi expliqué comment le fait de se référer aux avis des ulémas ne contredit pas le fait que c'est bien Dieu qui légifère : il écrit : "Et quand on dit que tels et tels ulémas ont déclaré tel acte permis et tel autre interdit, c'est dans le sens où soit ces ulémas rapportent cela de Dieu pour l'avoir lu directement dans un texte du Coran ou de la Sunna, soit ces ulémas ont fait un raisonnement à partir des principes présents dans le Coran et la Sunna" (Hujjat ullâh il-bâligha 1/186).)

    Il y a donc d'une part une différence entre le statut du Prophète et celui des mujtahidûn en tant que "références en matière de lois" : le premier l'est en tant que shâri', les seconds en tant que shârih.

    Et il y a d'autre part une différence entre le statut de Dieu et celui du Prophète en tant que shâri' : le Premier l'est de façon absolue, le second de façon relative par rapport au Premier, dans la mesure où il n'est législateur qu'en tant qu'envoyé du Premier, chargé par Lui de communiquer aux hommes Sa Loi, et dans la mesure où ce qu'il dit a valeur de loi parce que le Premier l'a approuvé par Son Silence.

    -
    Conclusion :

    A la lumière de ce qui précède, on ne peut, en tant que musulman, que penser ceci : Dieu a voulu que le Prophète ait pour rôle non seulement de transmettre le texte du Coran mais également de détailler par ses paroles et ses actes les enseignements du Coran. Toujours en tant que musulman, on ne peut que penser aussi que dès lors que Dieu a voulu que les paroles et actes du Prophète détaillent les enseignements du Coran, et dès lors qu'Il a voulu que le Coran parvienne dans son authenticité jusqu'à nous, Il a également voulu que ces paroles et actes du Prophète parviennent eux aussi jusqu'à nous. Si tout le Coran est authentique, il n'en va cependant pas de même de l'ensemble des propos, actions et approbations attribuées au Prophète : il s'y trouve de l'authentique, du carrément inventé (mawdhû'), et du rapporté avec une chaîne de mauvaise qualité (isnâduhû dha'îf)

     

    Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

     



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