• La Umma, communauté de foi musulmane, n'est pas constituée d'arabes uniquement : au sein de la population musulmane totale, les Arabes ne représentent qu'une part estimée à à peu près le quart.

    Certes. Mais y a-t-il en islam des prérogatives particulières au fait d'être un arabe ? ou bien Arabes et non-Arabes sont-ils considérés comme étant égaux ?

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    A) Une certaine affection (mahabba) se fait chez les musulmans vis-à-vis des musulmans arabes :

    On peut souvent voir des musulmans non arabes exprimer une affection particulière pour un musulman dont ils viennent d'apprendre qu'il est arabe. En Inde, par exemple, c'est un phénomène dont j'ai été témoin de nombreuses fois. Attention, nous ne parlons pas ici d'un quelconque complexe d'infériorité, ni d'une flatterie, ni même d'une volonté, pour tout musulman, de "devenir Arabe" ; il s'agit d'une simple affection.

    Cette forme d'affection est, d'après l'orthodoxie sunnite, chose qu'entraîne la foi musulmane elle-même (Al-Iqtidhâ', p. 142 ; voir aussi Radd ul-muhtâr 6/485 ; voir également Mirqât ul-mafâtîh 11/266-267).

    Le fait est que quiconque est attaché à une personne éprouve une forme d'attachement au peuple de cette personne. Or le peuple auquel le Prophète était affilié sur le plan de la descendance est le peuple arabe (c'est ce qui explique le verset 14/4).

    La communauté se dit "umma" ; cependant, ce terme a, dans les sources musulmanes, des sens différents : il y a, par rapport à tout prophète :
    – sa "ummat un-nassab",
    – sa "ummat ud-da'wa"
    – et sa "ummat ul-ijâba".
    Le premier terme désigne "la communauté à laquelle il est affilié sur le plan ethnique" ; le second : "la communauté à laquelle son message est destiné" ; le troisième, enfin, "la communauté de foi, formée par l'ensemble de ceux qui ont accepté le message au sein de la ummat ud-da'wa".
    Le message du Dernier Prophète s'adresse aux humains de toute l'humanité ; et tous les humains qui acceptent ce message appartiennent à la Communauté du Prophète, la "ummat ul-ijâba", qui est universelle, sans barrières ethniques ni culturelles. Mais le "peuple" auquel le Prophète est affilié (en arabe : "ummat un-nassab" / "qawm") est le peuple arabe (cf. Al-Jawâb us-sahîh 1/177).

    Nous aimons le dernier des prophètes, Muhammad ; or il était arabe ; nous avons donc une forme d'affection particulière pour les musulmans arabes (Kâna rassûl ullâhi sallallâhu 'alayhi wa sallama 'arabiyyan ; "wa kullu mâ yunsabu ila-l-habîb mahbûb" : Mirqât ul-mafâtîh, Alî al-qârî, 12/272). C'est pour la même raison que nous avons une affection particulière pour les musulmans de la famille du Prophète.

    Il est également à noter que les Arabes ont certains traits culturels particuliers. En effet, à côté de certains traits communs avec toute l'humanité et d'autres traits communs avec certains autres peuples précis, tout peuple – aussi bien un peuple dont les individus sont liés par une même ascendance biologique qu'un groupement réalisé sur la base d'une communauté d'habitation ou de culture – possède ses traits culturels particuliers, qui font sa spécificité dans son ensemble (il s'agit bien de "l'ensemble" et non de "la totalité" des individus qui la composent, certains de ceux-ci faisant bien entendu exception). Si la langue, disent les sociologues contemporains, est un outil qu'un groupe de personnes utilisent pour communiquer, elle affecte également, en retour, la mentalité de ce groupe : en effet, car, en amenant ces personnes à l'utiliser, elle modèle, par les sons dominants de son vocabulaire, sa structure syntaxique particulière et ses expressions toutes faites, leur rapport à la réalité extérieure et délimite leur vision du monde. C'est d'ailleurs pourquoi on dit à juste titre que la langue et la culture marchent de pair. (Ibn Taymiyya a également évoqué ce fait dans Al-Iqtidhâ', p. 190.) Les Arabes possèdent dans leur ensemble des qualités telles que la générosité, la chevalerie, traits qui font partie de la culture arabe (cf. Al-Iqtidhâ', p. 152). Ils ont aussi des qualités oratoires particulières (Ibid., p. 151).

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    B) Par contre, il n'est pas de supériorité – ni sur le plan social, ni auprès de Dieu – revenant au musulman arabe sur le musulman non-arabe :

    Le Prophète Muhammad (sur lui soit la paix) a dit : "O les hommes ! Celui que vous adorez est un, et votre père est un. Pas de supériorité à un Arabe sur un non Arabe, ni à un non Arabe sur un Arabe, ni à un blanc sur un noir, ni à un noir sur un blanc. La seule supériorité qui compte [auprès de Dieu] est celle de la piété. Ai-je transmis le message ?" (rapporté par Ahmad, n° 22978, authentifié par al-Arna'ût : bas de page sur Zâd al-ma'âd, 5/158).

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    C) De même, en islam, d'après un avis, il n'est pas de particularité juridique liée à la qualité d'arabe :

    En islam, le fait d'être un musulman arabe n'apporte pas de privilège, c'est-à-dire pas de statut particulier accordant une dérogation par rapport aux limites et aux devoirs qui concernent les musulmans de façon générale.

    Cela entraîne-t-il des particularités ? D'après certains ulémas, il est certaines règles qui sont en effet liées aux Arabes. Ainsi, ash-Shâfi'î et certains savants hanbalites postérieurs sont d'avis que c'est le goût des musulmans Arabes qui sert de critère pour établir quel animal – parmi ceux dont les sources ne disent rien – est tel que la consommation de sa chair est interdite aux musulmans parce qu'il est répugnant ("min al-khabâ'ith") ; Abû Hanîfa est d'avis que les polythéistes Arabes ne peuvent pas être résidents permanents des terres musulmanes (à la différence des Gens du Livre qui sont Arabes, et des polythéistes qui ne sont pas Arabes) ; d'autres point existent encore qui semblent indiquer certaines particularités liées aux Arabes quant à certaines règles (par exemple la kafâ'ah d'après certains ulémas)… Certes. Cependant il faut savoir que ces avis établissant des particularités ont été discutés par d'autres ulémas, qui, eux, ont un avis différent. Ibn Taymiyya ne partage ainsi apparemment pas grand-chose de ces avis impliquant une particularité aux Arabes (cf. Majmû' ul-fatâwâ 19/18-29).

    Par contre il est vrai que, établie sur la base d'un Hadîth authentique du Prophète, une règle faisant l'unanimité veut que les descendants du Prophète et de sa proche famille n'aient pas le droit de percevoir une aumône (sadaqa, qu'elle soit facultative ou obligatoire – zakât –). Mais primo cette règle n'est pas liée aux Arabes en général mais uniquement à la descendance du Prophète ; secundo cette règle s'applique à un descendant du Prophète même si celui-ci n'est pas Arabe (ce terme désignant la culture et non l'ascendance) (cf. Al-Iqtidhâ', p. 157).

    Il est vrai aussi qu'il est certaines règles qui concernent une partie de la terre arabe (le territoire du Haram, celui du Hedjaz ou de la Péninsule arabique). Mais elles sont liées à une région et non au peuple arabe pris dans son ensemble.

    En revanche il est effectivement une règle qui est liée à l'appartenance à une filiation particulière : l'idéal est que ce soit un Qurayshite qui occupe la fonction de calife. Le Prophète a dit : "La direction [= califat] (doit être) chez Quraysh" (al-Bukhârî 6720). Pourquoi cette parole du Prophète ? Y aurait-il préférence ?
    En fait l'explication est que, d'une part, la place du monde arabo-musulman est conséquente au sein de l'ensemble des pays majoritairement musulmans : le monde arabe constitue, pour reprendre la formule du 'âlim indien Abu-l-Hassan Alî an-Nadwî, "le cœur du monde musulman" (Mâ dhâ khassira-l-'âlam, p. 241). [C'est ce qui explique ces propos du Prophète :
    "Waylun li-l-'Arab min sharrin qad-iqtarab (…)" (al-Bukhârî, 6650, Muslim, 2880) ;
    "Inna ummatî yassûquhâ qawmun 'irâdhul-wujûh sighâr ul-a'yun ka'anna wujûhahum ul-hajafa, thalâtha mirâr (…)" (Ahmad 21873) ;
    "Inna banî qantûrâ awwalu man salaba ummatî mulkahum" (Fat'h ul-bârî 6/745) : Ibn Hajar pense que "ummatî" désigne probablement ici : "ummat un-nassab", donc les musulmans Arabes.]
    D'autre part, la péninsule arabique constitue le cœur de ce monde arabe : ceci parce qu'elle est le berceau de l'islam, et parce qu'elle est le pays où se trouvent ses lieux saints et où se déroule le pèlerinage à la Maison de Dieu (Mâ dhâ khassira-l-'âlam, p. 241).
    Or, enfin, dans le regard des Arabes de la péninsule, les Qurayshites ont une valeur particulière : c'est ce qu'expliqua Abû Bakr après le décès du Prophète et alors que la question de la nomination du calife se posait : "Vous savez que cette tribu des Quraysh occupe chez les Arabes une place que n'ont pas d'autres qu'eux, et que les Arabes ne se rassembleront que sur l'un d'eux. (Les gens de cette tribu) sont les plus valeureux des Arabes quant à leur lieu d'habitation et leurs qualités (hum awsat ul-'arabi dâran wa a'rabuhum ahsâban)" (rapporté par al-Bukhârî n° 6442 avec Fat'h ul-bârî 12/188, ainsi que n° 3467). C'est aussi le sens du hadîth suivant : "Les gens suivent Quraysh dans cette affaire [= la direction : Mirqât] : les musulmans (parmi ces gens) suivent les musulmans (des quraysh), [tout comme] les non-musulmans suivaient leurs non-musulmans [avant la venue de l'islam, eu égard à leur prestige]". Ce hadîth veut dire que tout comme pendant la période du kufr les Arabes avaient en estime les Quraysh, ils ont et auront de l'estime pour eux pendant la période de l'Islam ; c'est cela qui fait que l'idéal est que ce soit un qurayshite qui soit calife (cf. Mirqât ul-mafâtîh, 12/258).

    Cependant, souligne an-Nadwî, dire que le monde arabe a une place importante ne signifie pas avoir la même vision que celle des nationalistes arabes (Mâ dhâ khassira-l-'âlam, p. 241). En effet, il ne s'agit pas :
    – de soutenir ce que font des personnes, parce qu'elles sont Arabes, même si cela est contraire aux normes de l'islam ;
    – ni de dire que le développement de la terre des Arabes et la prospérité et le développement humain de ce groupe peuvent se faire aux dépens des autres terres et des autres groupes ;
    – ni d'avoir comme vision que ces développements et cette prospérité sont l'objectif suprême et qu'après avoir atteint cet objectif on ne se souciera pas de ceux qui appartiennent à un autre groupe.

    An-Nadwî souligne que si le monde arabe a une place importante au sein du monde musulman, c'est parce qu'il est le berceau de l'islam. Or il ne pourra l'être véritablement que s'il ne se coupe pas des enseignements du prophète arabe. C'est en effet ce dernier qui a transformé en peuple cet ensemble de tribus isolées que formaient les Arabes. Dès lors, si ce monde se coupe des enseignements du Prophète, il n'est qu'un corps sans âme (Mâ dhâ khassira-l-'âlam, p. 242). La partie arabe du monde musulman ne peut être réellement le centre de celui-ci que s'il suit les enseignements du prophète arabe et développe sa foi et son éthique en ce sens (Mâ dhâ khassira-l-'âlam, p. 243).

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    D) Quelques paroles lucides adressées par des Prédécesseurs aux musulmans arabes :

    Omar ibn ul-Khattâb a, s'adressant aux Arabes, prononcé un jour ces propos : "Vous étiez un peuple vil, et Dieu vous a élevés par l'islam. Si vous recherchez la grandeur dans autre chose que l'islam, Dieu vous avilira" (propos relaté selon différentes versions, très voisines : voir Al-Bidâya wa-n-nihâya, Ibn Kathîr, 7/66, Hayât us-sahâba, al-Kândahlawî, 5338-5340).

    Abû Barza, un autre Compagnon du Prophète, a dit quant à lui une fois : "Vous, Arabes, étiez dans la situation que vous connaissez d'humiliation, de faiblesse et d'égarement. Et Dieu vous (en) a fait sortir par l'islam et par Muhammad, jusqu'à ce qu'Il vous ait fait parvenir à ce que vous voyez. C'est (l'attachement excessif à) ce monde qui a gâché les relations entre vous" (al-Bukhârî 6695).

    Un autre Compagnon, Jarîr, relate que Dhû 'Amr, un himyarite (donc un homme originaire du Yémen) qui s'était converti à l'islam mais n'avait pas pu rencontrer le Prophète, lui dit un jour : "Jarîr, tu as sur moi une faveur, et je vais t'informer de quelque chose : Vous, Arabes, ne cesserez pas d'être dans une bonne situation tant que lorsqu'un dirigeant ("amîr") parmi vous mourra, vous vous consulterez à propos d[e la nomination d]'un autre. Puis, lorsque la (direction) sera par l'épée [= la domination], ils [= les dirigeants] seront comme les rois, se mettant en colère de la colère des rois, et étant satisfaits de la satisfaction des rois" (al-Bukhârî, Fat'h ul-bârî 7/96-97).


    Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

     



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